Frank Sinatra
Il était une fois, dans une pauvre maison de Monroe Street, dans le New Jersey, un bébé de six kilos venu au monde le 12 décembre 1915, Francis Albert Sinatra, alias Frank Sinatra, avec une oreille cassée et un visage ensanglanté, recouvert de marques profondes, causées par l’utilisation répétée de forceps métalliques… L’enfant vivra cependant pour devenir un « gringalet » incroyablement solide, qui, quelques années plus tard fera chavirer l’Amérique …
Gros plan sur le prodige :
« Moi, je ne suis qu’un gosse du ruisseau ! (Frank Sinatra dans ses premières interviews)
Oublions quelque peu cette légende à la Chaplin et revenons un peu à la réalité : contrairement aux idées reçues, Frank Sinatra n’est pas à proprement parler un petit rital pauvre de la banlieue de New-York…même si la prohibition et les rues sales du quartier d’Hoboken ne lui offraient pour perspective que les quais crasseux de l’Hudson river. Dès son jeune âge, le petit Frank Sinatra sera un « fils à maman », toujours propret, plutôt mieux habillé que les autres et soutenu par l’incroyable personnalité de Dolly, sa mère. Très rapidement « la mamma » prendra du galon dans son quartier en adhérant au parti démocrate, en aidant les pauvres, en avortant les filles-mères, et surtout en « portant la culotte » à la maison (son mari est un boxeur raté qu’elle fera nommer commandant des pompiers du quartier !). Un seul oubli de la part de cette femme de caractère : celui de consacrer du temps à son fils Frankie ! Celui-ci ira chercher sa dose d’amour chez sa grand-mère, Rosa Garaventi, celle-là même qui lui sauva la vie à sa naissance en le plaçant sous un jet d’eau glacée, et auprès d’une vieille dame juive, Madame Golden.
Toute sa vie, Frank Sinatra se souviendra de l’amitié que lui portaient ses voisins de quartier : juifs, Italiens, noirs, communistes… la discrimination, il sait ce que c’est et, plus tard, il en fera son affaire. Employer un scénariste juif mentionné sur la « liste noire » de Hollywood ne lui fera pas peur. Pas plus qu’imposer la présence de son ami Sammy Davis Jr dans des lieux réservés aux blancs ! Comme sa maman, l’homme aura les qualités de ses défauts. Sa jeunesse de « rital » des quartiers populaires lui donnera plus tard l’autorisation morale de se moquer de ses copains juifs ou noirs dans ses divers spectacles (« Hé, Négro, met la en veilleuse » « Mais où est donc passé le petit juif ? ») : « rital » « juif » « négro »: la différence de couleur ou de confession constituera l’un des principaux ressorts humoristiques, avec l’alcool et le sexe, du Rat Pack.
La tendresse de Frank Sinatra pour les minorités défavorisées lui sera rendue à l’aube de son succès : ces mêmes communautés verront en lui, comme un espoir de réussite : le petit rital de la chanson sera leur héros et leur « Hérault » !
« Ce jeune homme maigre qui nous ressemblait tant était en train de réaliser les rêves les plus fous de centaines de milliers d’adolescents moins favorisés que lui par le sort. Quand il se penchait sur l’une quelconque des déesses de l’écran, nous, nous rêvions tous à sa place. Nos amies, nos sœurs, nos copines, elles, s’identifiaient immédiatement à l’heureuse élue… » (Antony Scaduto, journaliste, écrivain et « fan » de Frank Sinatra).
Un grand interprète, doublé d’un véritable musicien
L’amour de Frank Sinatra pour la ritournelle lui viendra de son grand père, Dominik Garaventi. Mais le choc se produira véritablement le soir ou, avec sa petite amie Nancy Barbato, le blanc-bec va voir Bing Crosby en concert !
Dès lors, le jeune Frank Sinatra se met à déambuler dans les rues d’Hoboken avec une veste en tweed et une pipe à la bouche, comme son idole ! Une fois le costume adopté, il force la main d’un groupe vocal amateur constitué de trois camionneurs qu’il rebaptisera très rapidement les « Hoboken’s Four ». A cette époque, le trio n’est guère séduit par sa voix, mais littéralement impressionné par son profond désir de réussir… Dès cette époque, le futur crooner passe une partie de sa journée à répéter et travailler son souffle. La grande chance de ce groupe de second choix sera d’être sélectionné par l’émission de radio itinérante du Major Bowes, sorte de « Star Academy » de l’époque, à la recherche de nouveaux talents. Ce qui les conduira au Capitol Theater de New-York et à une tournée itinérante organisée par le Major !
La suite appartient désormais à l’Histoire : devenu chanteur de radio trois fois par jour (matin, midi et soir) Frank Sinatra donne en outre des représentations le soir dans un club, le Rustic Cabin. En 1939, le jeune trompettiste Harry James l’engage dans l’orchestre qu’il vient de monter. A cette époque, les « grands orchestres de Swing » sillonnent l’Amérique pour faire danser les gens. Chaque orchestre à son chanteur vedette. C’est ainsi que, peu après, le grand Tommy Dorsey, le « roi du swing », entend parler d’un « jeune boutonneux rital » qui fait des merveilles… Après l’avoir entendu, il lui offre un salaire double, tout en lui faisant signer un contrat l’obligeant à reverser, à vie, une partie de ses gains s’il quittait l’orchestre…
En 1942, le jeune Frank Sinatra triomphe dans les hit-parades, volant la vedette à l’orchestre de Tommy Dorsey qui, du coup, se voit ramené à un rôle de simple accompagnateur. Un comble, à l’époque ! Le chef d’orchestre n’avait pas prévu que la radio et les juke-boxes allaient précipiter la mise en avant des chanteurs, aux dépends des chefs d’orchestre. La proximité de la voix, grâce à la magie des ondes et surtout au progrès du microphone, font de ces chanteurs de radio des êtres magiques, jouant du micro et faisant croire à chaque « Bobby soxer » (groupie de l’époque), qu’à elle seule, la chanson était destinée
Plus que tout autre, Frank Sinatra amplifia le phénomène, d’autant plus que sa rage de vaincre le fait alors travailler en profondeur sa technique : à force d’observer les grands musiciens qui l’entourent, Frank Sinatra travaille sa voix comme un instrument. En voyant Tommy Dorsey jouer du trombone, il emprunte à ce dernier la technique qui lui permettait de tenir la note tout en inspirant, au coin des lèvres, l’air nécessaire à son instrument ! Pour améliorer son souffle, le chanteur pratique la natation et l’apnée, au point d’être capable de traverser sous l’eau une piscine Olympique. Que ce soit dans les séances d’enregistrement ou en concert, l’homme de l’art éclipsait le fier à bras : analyse de la partition, répétitions, direction d’orchestre à l’occasion, travail de la diction, il devient ainsi un maître pour des générations d’interprètes.
Et Sinatra chantait … « All or nothing at all » 1943 Columbia
En 1943 après un long bras de fer avec Tommy Dorsey qui avait verrouillé Frank Sinatra contractuellement, ce dernier parvient à se dégager de la mainmise de l’encombrant chef d’orchestre. Le chanteur devient libre pour rejoindre la firme COLUMBIA chez qui il était, quelques années plus tôt, simple chanteur d’orchestre pour le Harry James Orchestra. Pour rapidement faire face au succès et au plébiscite des « Swooners » (surnom des groupies s’évanouissant à l’apparition de la star), la nouvelle maison de disque réédite à la hâte une chanson enregistrée en 1939 par le Harry James orchestra (« All or nothing at all ») : à cette époque le nom de Sinatra n’était même pas mentionné !
« All or nothing at all » deviendra rapidement l’un des grands succès de l’année 43. Ce titre fétiche pour l’artiste exprime, entre autres, sa revanche de chanteur d’orchestre anonyme devenu star. Pour l’anecdote, Frank Sinatra réenregistrera quatre ou cinq fois cette chanson dont une version « disco » dans les années 70. Le même sort sera réservé à un autre de ses plus grands succès, signé Cole Porter : « Night and Day ».
La plus belle version de « All or nothing at all » est contenue dans « SINATRA AND STRINGS » (label Reprise) accompagné par l’orchestre de Don COSTA.
Frank Sinatra – Strangers in The Night (Clip)
Frank Sinatra – Fly Me To The Moon (Clip)
Discographie
Liste non-exhaustive de ses plus grands succès:
1984 : L.A. is my Lady
1979 : New York, New York
1969 : My way
1967 : I concentrate on you
1966 : Strangers in the night
1965 : It was a very good year
1964 : Fly me to the Moon
1958 : Come fly with me
1957 : The Lady is a tramp
1956 : I’ve got you under my skin
1955 : What is this thing called love